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L'EXTRAORDINAIRE AVENTURE, chorégraphie Angelin Preljocaj

Le 01/04/2017 à 21:00

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La Fresque s’inspire d’un conte chinois, où des réalités parallèles se rencontrent. Deux voyageurs fatigués trouvent abri dans un temple et y découvrent un vieil ermite. Bienveillant, celui-ci les guide vers une fresque cachée où de très belles femmes semblent, imperceptiblement, danser. L’un d’entre eux, fasciné par la mélancolie de la plus jeune, va s’évader vers son univers au temps arrêté, et faire de cette vierge aux cheveux défaits son épouse... Les dimensions imbriquées fascinent toutes les traditions artistiques. Nos récits éveillés sont habités des histoires mystérieuses du sommeil, parce qu’elles révèlent des désirs inconscients que nous savons, confusément, déchiffrer. 

Pour faire vivre sa rêverie familière, Angelin Preljocaj traverse le miroir et entre dans la fresque comme le voyageur chinois ; les temps se superposent, se défont, et l’immobilité prend vie, tandis que le réel ralentit... Le chorégraphe interroge ainsi les vitesses, les tempi, les dimensions temporelles de la danse, l’extrême lenteur. Il laisse aussi affleurer ces élans qui peuplent les rêves, caresse l’impériosité du désir, et fait sonner les voix graves qui, comme un rappel à l’ordre, nous en séparent.

Après L’Anoure en 1995, Blanche Neige en 2008, Siddharta en 2010, Angelin Preljocaj poursuit son exploration des contes en choisissant, comme il aime à le faire, une piste encore inexplorée dans son travail, celle des contes traditionnels d’Asie dont on sait la richesse et la force poétique. Ainsi La peinture sur le mur, plonge le lecteur dans le monde fantastique des contes chinois et révèle le pouvoir « surnaturel » de l’art pictural. Si différentes lectures sont possibles, les notions d’illusion et de transcendance sont ici omniprésentes. C’est au cœur de cet univers insolite qu’Angelin Preljocaj a choisi de s’immerger. Ce conte chinois est la source d’une adaptation plus contemporaine. Angelin Preljocaj en conserve la trame mais avec la puissance de son imaginaire, le transposera dans un espace à la croisée des cultures. Il garde bien sûr l’essence du récit et ses évocations symboliques.

"Existe-t-il un passage secret qui permette d’accéder à l’essence d’une image qui nous fascine ? François 1er a-t-il cherché un jour à Chambord le chemin qui le conduirait à Mona Lisa ? En acquérant une toile datant du XVIème siècle, le Prince de Liechtenstein a-t-il cru qu’en la regardant assidûment, son imagination aurait le pouvoir de téléporter son corps auprès de la Vénus de Cranach ?

La Fresque, inspirée d’un célèbre conte chinois, nous parle de ce voyage dans une autre dimension où l’image devient lieu de transcendance et où l’être physique entre en intelligence avec l’image. Cette question de l’image est au cœur de cette recherche. Elle nous renvoie aussi à la caverne de Platon et ses ombres portées qui questionnent notre existence. J’aimerais explorer dans ce spectacle les relations mystérieuses existant entre la représentation et le réel. La danse crée les liens qui se nouent entre image fixe et mouvement, entre instantanéité et durée, entre vif et inerte. Derrière cette métaphore qui traverse le conte chinois se profile la question de la représentation dans notre civilisation et la place de l’art dans la société d’aujourd’hui." Angelin Preljocaj

 

LE CONTE

Il était une fois deux voyageurs, l'un nommé Chu et l'autre Meng. D'où venaient-ils, où allaient-ils, qu'importe, ce n’est pas là l'histoire. Ils cheminaient, le ciel sur la tête, le baluchon à l’épaule et sous les pieds la terre ferme. Et voilà qu'un jour de pluie et de grand vent, au bout d'un chemin bordé de roseaux, le dos courbé sous l'averse, ils arrivent devant un petit temple délabré mais tout à fait bienvenu par ce mauvais temps. Chu et Meng s'y mettent à l’abri. Alors, dans ce lieu paisible où le silence n'est troublé que par les rafales de pluie, ils voient venir vers eux un vieil homme maigre, au regard innocent, un ermite qui vit là, loin du monde et qui accueille les deux voyageurs avec une courtoisie touchante.

- Venez, leur dit-il, venez, je vais vous faire visiter les fresques qui ornent les murs de cette pauvre et belle demeure. Elles sont merveilleuses.

Le vieil homme part devant eux. Chu et Meng le suivent. Le mur au fond du temple est en effet décoré d'une fresque magnifique. Un groupe de jeunes filles est représenté, dans un bosquet de pins parasols. L'une d'elles cueille des fleurs. Elle est coiffée de longues tresses noires. Elle sourit doucement, ses lèvres sont vives comme la chair des cerises, et ses yeux brillent. Chu est fasciné par ces yeux peints avec une étonnante minutie. ll regarde la jeune fille, longuement, si intensément qu'il se sent flotter dans l'air. Et voilà que tout à coup, il n'est plus dans le petit temple délabré, il n'entend plus la pluie tambouriner sur le toit, mais le vent léger dans les pins parasols. Il entend aussi parler. Des jeunes filles pépient comme des oiseaux. Chu voit celle qu'il a remarquée sur la fresque rejeter en arrière ses longues tresses et s'éloigner en riant. Il la suit. Le ciel est bleu comme il l'a vu sur la peinture mais le paysage maintenant autour de lui est vivant. Le soleil chauffe ses épaules, la jeune fille va sur le chemin, il court derrière elle. Elle se retourne, elle lui sourit, longe la grille d'un jardin et pousse la porte d'une petite maison. Elle attend Chu sur le seuil, elle lui fait signe d'entrer. Les voilà tous les deux dans une chambre aux murs de papier blanc. Ils s'embrassent comme deux amants éperdus. Chu a soudain le sentiment d'être amoureux de cette jeune fille depuis des siècles. Ils tombent ensemble sur le lit. Quand ils se relèvent ils sont mari et femme. Alors devant son miroir l’amoureuse dénoue ses tresses et coiffe ses cheveux en lourd chignon sur sa nuque, car telle est la coiffure convenable des femmes mariées. Elle sourit et Chu sourit aussi. Ils parlent comme deux amants qui se retrouvent après avoir été trop longtemps séparés.

Soudain, ils entendent un remue-ménage effrayant. Des éclats de voix retentissent dehors, des cliquetis de chaînes et le pas lourd d'une paire de bottes. Quelqu'un traverse le jardin, devant la maison. La jeune femme pâlit, se précipite dans les bras de Chu, lui met la main sur la bouche.

- Ne dis pas un mot !

Ensemble, osant à peine respirer, par une fente de la porte ils regardent. Ils voient un homme colossal vêtu d'une armure d'or. Son visage est noir comme un boulet de charbon, il tient dans ses poings des fouets et des chaînes. Les jeunes filles qui tout à l'heure étaient dans le bosquet de pins parasols l'accompagnent. Elles sont épouvantées. Le colosse rugit d'une voix menaçante :

- On m'a dit qu'un mortel se cachait parmi vous. Faites place, je vais fouiller la maison.

Le visage de la jeune épouse est gris comme la cendre tant elle a peur. Elle dit à Chu :

- Cache-toi sous le lit.

Chu se précipite sous le lit. Il entend et voit deux bottes entrer dans la chambre. Pendant ce temps, devant la fresque, au fond du petit temple délabré, son compagnon Meng s'aperçoit que Chu n'est plus auprès de lui. ll se tourne de tous côtés et demande au vieux moine :

- Où est-il parti ? Il était là, il y a un instant.

- Oh, il n'est pas loin, répond le moine. Il s'approche de la fresque, il frappe du doigt contre le mur et dit :

- Monsieur Chu ! Qu’est-ce donc qui vous retient si longtemps ? Votre ami s'impatiente.

Alors Chu apparaît comme s'il sortait de la muraille. ll a l'air abasourdi, ses genoux tremblent, il est livide. Meng le prend par les épaules.

- Hé, que t'est-il arrivé ? lui dit-il.

Chu répond la voix chevrotante :

- Je ne sais pas, j'étais caché sous le lit, j'ai entendu un fracas de tonnerre, je suis sorti pour voir ce qui se passait et me voici.

Les deux amis regardent la fresque. La jeune fille est toujours là, qui ramasse des fleurs dans le bosquet de pins parasols. Mais elle a changé de coiffure : elle ne porte plus les tresses. Elle porte maintenant le chignon des femmes mariées, et son sourire est peut-être un peu plus mélancolique, un peu plus rêveur. Le vieux moine dans un coin du temple est perdu dans ses prières, le visage illuminé. Les deux voyageurs s'éloignent lentement. Dehors, il ne pleut plus. Ils s'en vont, sans un mot. Ils ont encore un long chemin à faire.