Diderot et le jeu d'acteur-trice
Denis Diderot, Paradoxe sur le comédien (écrit à partir de 1769, mais publié posthume en 1830)
Florilège de citations :
A propos du comédien professionnel, « (…) tout son talent consiste non pas à sentir (…) mais à rendre si scrupuleusement les signes extérieurs du sentiment, que vous vous y trompiez. »
« L’acteur est las, et vous triste ; c’est qu’il s’est démené sans rien sentir, et que vous avez senti sans vous démener. »
« Les larmes du comédien descendent de son cerveau ; celles de l’homme sensible montent de son cœur. »
« Qu’est-ce donc que le vrai talent ? Celui de bien connaître les symptômes extérieurs de l’âme d’emprunt, de s’adresser à la sensation de ceux qui nous entendent, qui nous voient, et de les tromper par l’imitation de ces symptômes, par une imitation qui agrandisse tout dans leurs têtes et qui devienne la règle de leur jugement (…) ».
« Mais, par hasard, n’auriez-vous pas vu un marmot qui s’avance sous un masque hideux de vieillard qui le cache de la tête aux pieds ? Sous ce masque, il rit de ses petits camarades que la terreur met en fuite. Ce marmot est le vrai symbole de l’acteur ; ses camarades sont les symboles du spectateur. »
EXTRAIT :
LE PREMIER
Mais le point important, sur lequel nous avons des opinions tout à fait opposées, votre auteur et moi, ce sont les qualités premières d’un grand comédien. Moi, je lui veux beaucoup de jugement ; il me faut dans cet homme un spectateur froid et tranquille ; j’en exige, par conséquent, de la pénétration et nulle sensibilité, l’art de tout imiter, ou, ce qui revient au même, une égale aptitude à toutes sortes de caractères et de rôles.
LE SECOND
Nulle sensibilité !
LE PREMIER
Nulle. […] Ce qui me confirme dans mon opinion, c’est l’inégalité des acteurs qui jouent d’âme. Ne vous attendez de leur part à aucune unité ; leur jeu est alternativement fort et faible, chaud et froid, plat et sublime. Ils manqueront demain l’endroit où ils auront excellé aujourd’hui ; en revanche, ils excelleront dans celui qu’ils auront manqué la veille. Au lieu que le comédien qui jouera de réflexion, d’étude de la nature humaine, d’imitation constante d’après quelque modèle idéal, d’imagination, de mémoire, sera un, le même à toutes les représentations, toujours également parfait : tout a été mesuré, combiné, appris, ordonné dans sa tête ; il n’y a dans sa déclamation ni monotonie, ni dissonance.
[…]
Mais il me prend envie de vous ébaucher une scène entre un comédien et sa femme qui se détestaient ; scène d’amants tendres et passionnés ; scène jouée publiquement sur les planches, telle que je vais vous la rendre et peut-être un peu mieux ; scène où deux acteurs ne parurent jamais plus fortement à leurs rôles ; scène où ils enlevèrent les applaudissements continus du parterre et des loges ; scène que nos battements de mains et nos cris d’admiration interrompirent dix fois. C’est la troisième du quatrième acte du Dépit amoureux de Molière, leur triomphe.
EXERCICE : Imaginez et jouez une scène dans laquelle vous dissociez acteur et personnage : les personnages expriment devant le public certains sentiments, alors que les acteurs expriment (tout bas, entre eux) des sentiments totalement opposés.