L'INSTITUT BENJAMENTA, m.e.s. Bérangère Vantusso
Le 03/12/2016 à 20:30
« Chaque nouvelle création de la compagnie trois-six-trente prend sa source dans la précédente. Le travail entamé en 2006 avec les marionnettes hyperréalistes est en questionnement permanent, il doit se réinventer à chaque spectacle.
Après Le rêve d’Anna d’Eddy Pallaro créé en 2014, je souhaite suivre la piste d’un « réalisme fantastique » en sortant nos personnages d’une forme de quotidienneté. Je veux également transformer la relation acteur/marionnette en les considérant, cette fois, comme une seule population de personnages sur le plateau, les premiers n’étant pas seulement au service des seconds.
Ce besoin de transformation et de fantastique s’est amplifié avec la rencontre esthétique du peintre flamand Mickaël Borremans. Peintre réaliste, doué d’une technique brillante, il peint des sujets sortis d’un monde absurde, hautement poétique, très ancré dans le réel tout en étant totalement fantastique. Un détail, un décor, un cadre, une couleur sur la peau, il déplace le monde en ouvrant des espaces à la fois familiers et étranges, toujours très théâtraux.
Après Ron Mueck en 2005 qui a ouvert la voie à nos marionnettes hyperréalistes, Borremans est certainement un artiste important pour la suite de notre travail.
J’ai donc cherché le texte qui donnerait un élan à ce désir de renouvellement, et c’est par le détour du cinéma des frères Quay que j’ai découvert l’Institut Benjamenta de Robert Walser.
Le sujet a immédiatement éveillé mon intérêt : une école où l’on forme des domestiques.
Obéir, s’effacer, se soumettre, exécuter, servir – Ordonner, dominer, inculquer, se faire servir, autant de notions qu’il m’intéresse d’aborder aujourd’hui.
Cette dialectique du maître et de l’esclave est un appel très inspirant pour la marionnette qui ne prend vie que lorsque quelqu’un se met à son service, mais qui impose à celui qui l’anime de ne plus se mouvoir pour lui-même mais pour l’autre.
Ensuite la lecture du roman a été un choc littéraire.
Une langue limpide, modeste et vive. Souvent drôle. Robert Walser fait un pas de côté et s’extrait de tout dogmatisme. Il propose un « être au monde » singulier qui m’a réjouie autant que réconfortée : profondément bon en étant cruel, profondément subversif en étant docile.
Le personnage central, Jacob von Gunten, anti-héros walsérien, me touche vraiment. Il se veut faible et petit, en retrait des contingences, mais toujours prêt à se révolter et à partir. Il ne craint pas de recommencer, il n’a rien à perdre ni à gagner, car il ne possède rien.
Il écrit et déclare ne pouvoir respirer « que dans les régions inférieures ».
Au-delà de cette micro-société qu’il me plaît de sonder, L’Institut Benjamenta est un immense appel au rêve. C’est un conte mystérieux dont les héros seraient joués par les personnages de Borremans.
Les portes se dérobent, l’onirisme tient lieu de réalité, on y apprend des chants et d’étranges chorégraphies, les fantasmes s’incarnent et le réel s’effondre avec grâce.
Il y a là un monde entier à inventer où l’obéissance pure deviendrait la plus grande transgression. »
Bérangère Vantusso – Juin 2015
Lien vers le site du festival d'Avignon (vidéo de la rencontre avec B.Vantusso)