LA NUIT DES ROIS de Shakespeare, m.e.s. Clément Poirée
Le 28/04/2016 à 20:30
Le désir et son objet
Twelfth Night, or What you will.
Or what you will ? “ Ou ce que vous désirez ”
Qu’est-ce que désirent les personnages de Shakespeare ? L’idée de l’amour “ the spirit of love ” dit Orsino. L’amour pour une image, l’amour pour un être disparu, l’amour pour la bouteille… Ce ne sont que des amours mortes.
Orsino et Olivia vivent cloîtrés, comme dans un conte ils sont ensevelis avec leur suite dans le sommeil et ils frôlent le réel comme des somnambules. Ils vivent dans leur nuit, La Nuit des rois.
Dans cette nuit, on croise des âmes malades : Orsino, malade de désir, un désir impatient, cruel ; Olivia, qui prétend échapper à la nature et à la vie ; Malvolio malade d’orgueil, d’amour propre ; Tobie noyé dans l’alcool.
Soudain, survient l’objet du désir – juvénile, à la fois homme et femme, Viola et Sébastien.
Pour parvenir à déchirer le voile de l’indépassable solitude des êtres, il faut le masque. Il faut la transgression, le renversement. Il faut le carnaval. Viola se grime en Cesario, et c’est sous ce déguisement qu’elle séduit involontairement Olivia ; le pirate Antonio aime le jeune Sébastien, la jeune Maria aime le vieil alcoolique Tobie… Ce sont des amours désaccordées. C’est une musique jouée sur des instruments dissonants, et pourtant elle est si belle.
J’aimerais faire du plateau “ le périscope de l’âme ” comme le décrit Kafka. Un genre de grand dortoir pris dans un rayon de lune qui s’anime dans la nuit, comme dans un rêve, peuplé d’êtres mélancoliques et drôles. Hors du temps. Des lits séparés par des paravents, des meubles recouverts de draps, un piano désaccordé…
“ Or what you will ” ? “ Ou ce que vous voudrez ” pourvu que ça marche. Pourvu que cela nous indique le chemin vers le jour et la vie. Pourvu que cela nous permette d’échapper à la nuit pleine de rêves, de fantasmes et d’idéaux et que l’on puisse enfin se coltiner le réel à la fois amer et jubilatoire.
Clément Poirée
LA PRESSE EN PARLE ...
Une version énergisante de la comédie de Shakespeare rythmée par Clément Poirée avec une très belle troupe endiablée.
Commencer l’année 2015 par une comédie shakespearienne enlevée est une excellente chose. La pièce de l’auteur élisabéthain se prête à toutes les folies mais il faut pour cela une distribution qui se lâche. Clément Poirée a constitué une troupe homogène emmenée par des comédiens composant des personnages croquignolets. Il y a les deux guignols avinés Sir Toby et Sir Andrew campés par Eddie Chignara et Moustafa Benaïbout (qui s’est fait un look craquant à la Johhny Deep). Malvolio, l’intendant d’Olivia qui va sombrer dans la folie (formidable numéro d’acteur de Laurent Menoret) ou encore le clown Feste (Bruno Blairet). Tous ces personnages donnent le tempo à la pièce. Dans cette version de la comédie de Shakespeare il n’y a pas de rôles secondaires.
Au cœur de la pièce il y a bien évidemment la comtesse Olivia réfugiée dans le deuil après la mort de son frère. Claire Sermonne est géniale car elle fait évoluer avec finesse le personnage qui bascule petit à petit dans le désir et l’appétit sexuel pour Césario rescapé d’une tempête. Le double rôle des jumeaux Viola (Césario)/ Sébastien est interprété avec brio par Suzanne Aubert.
Dans un décor aux couleurs sépia qui représente un dortoir desquels sortent des lits à baldaquin, Clément Poirée emprunte les codes burlesques du cinéma muet. La scène de la folie de Malvolio est un grand moment. Le sexe dressé dans ses bas jaunes et ses jarretières Laurent Menoret est irrésistible. Cette pièce est véritablement la pièce de tous les désirs et de tous les libertés sexuelles. On rappelle qu’elle a été écrite au début du 17ème siècle ! Les liaisons amoureux sont libres. Le pirate Antonio aime le jumeau Sébastien et la comtesse tombe amoureuse d’une jeune fille androgyne travestie ! C’est la nuit des folles ! Et l’on s’amuse toute au long du spectacle.
Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
Une comédie échevelée et étonnamment transgressive
Shakespeare se posa le premier la question du genre. En témoigne cette Nuit des rois (1599) mise en scène par Clément Poirée entre mélancolie et grotesque, rêverie élégiaque et burlesque. Dans un espace qui tient à la fois du dortoir de pensionnat d’un xixe siècle romantique et d’un asile kafkaïen pour aliénés de l’Empire austro-hongrois, un duc Orsino et une comtesse Olivia sont enfermés, chacun, dans leur solitude, leur deuil (un frère adoré pour elle) et leur rêve amoureux contrarié (il l’aime, elle préfère son frère mort). Surgit l’intrépide Viola (la délicieuse Suzanne Aubert), déguisée en garçon sous le nom de Cesario, parce qu’elle vient de perdre son jumeau, et redoute d’être en danger sous ses habits de fille. Viola- Cesario se met au service d’Orsino, en tombe amoureuse. Celui-ci l’ayant prié d’intercéder pour lui auprès d’Olivia, le beau travesti réveille chez l’inconsolable l’image du frère défunt. Pulsion incestueuse ? Dans cette comédie échevelée et étonnamment transgressive, Shakespeare fait exploser les limites dans le plaisir et la gaieté. Et si après la tentation de l’inceste, puis de l’homosexualité, hommes et femmes finissent par aimer sagement qui il faut, les labyrinthes du désir restent sombres. A peine explicités par une langue folle et drôle, elle aussi chaotique, mais joliment mise en bouche par les comédiens de la troupe. Musiqueet sons, verbe et notes règnent étrangement dans cette tragi-comédie où Clément Poirée multiplie aussi les clins d’oeil potaches. L’inquiétude n’en est que plus forte avec ces vraies cruautés distillées par de vrais méchants dans la pièce… Shakespeare ne donne ni leçon, ni solution. Il complexifie, obscurcit. Pour éclairer des opacités qu’on ne soupçonnait pas avant lui.
Fabienne Pascaud - Télérama
Fabienne PASCAUD - Télérama
Nos nuits d’hivers réenchantées aux Quartiers d’Ivry
Quand le théâtre réchauffe le coeur... « La Nuit des rois » (1602), cet autre conte d’hiver de Shakespeare (« Twelfth Night », c’est la douzième nuit après Noël) déploie toute sa magie et sa drôlerie dans la version que nous offre Clément Poirée aux Quartiers d’Ivry. Sans nous faire oublier les terribles événements que la France vient de vivre. Le théâtre du grand Will dit le monde, il suffit de le faire entendre. Et ce spectacle, créé tout juste avant les attentats, entre singulièrement en résonance avec le combat d’aujourd’hui pour la liberté d’expression. A travers le personnage du clown Feste, superbement interprété par Bruno Blairet.
Grâce à la nouvelle traduction limpide voulue par le metteur en scène, sa parole claque comme un fouet. Il est l’insolent sans limites, que même le duc mélancolique Orsino et l’austère comtesse Olivia encouragent et protègent.
Clément Poirée réussit le parfait dosage entre humour et poésie, pour raconter cette histoire d’amours folles et de travestissements dans le pays imaginaire d’Illyrie. Un duc qui se désespère de séduire une comtesse en deuil de son frère ; deux jumeaux garçon/fille rescapés d’une tempête, qui croient tous deux que l’autre est mort ; la soeur (Viola) travestie en homme, qui fait chavirer le coeur d’Orsino et d’Olivia... Cette comédie du désir transgenre et de l’amour en fuite tourne à plein régime deux heures trente durant.
Buster Keaton et Crazy Horse
On rit beaucoup des frasques de Sir Toby (parent d’Olivia) et de son compère crétin Sir Andrew, réglées comme du Buster Keaton. Malvolio (Laurent Menoret), l’intendant berné, fait un tabac en « bas jaunes » et « jarretières croisées » façon Crazy Horse... Mais dès que l’amour surgit, l’atmosphère devient délicatement onirique et sensuelle. Dans le décor astucieux de palais-dortoir (les lits où se conjuguent le sexe et le rêve), la jubilation se fond dans la mОlancolie. Les comОdiens sont tous excellents. Mention spéciale à Suzanne Aubert (Viola-Cesario/Sébastien), irrésistible en garçon manqué/roussi, et à Camille Bernon, malicieuse et fraîche Maria (la servante d’Olivia).
Avec justesse, modestie et une grâce infinie, Poirée et sa troupe d’amoureux transis réenchantent nos nuits d’hiver meurtries.
Philippe CHEVILLEY - Les Echos
Vive cette nuit!
Au-delà du travestissement et des duperies qui caractérisent la pièce, Shakespeare met aussi à l’honneur le thème du désir. Ce désir, au coeur des échanges, aveugle les uns et révèle les autres. Clément Poirée, qui s’est attelé à la mise en scène de cette comédie, livre un travail soigné et enthousiasmant.
Pour tenir la cadence de la partition et donner à voir tout l’humour de l’auteur, il fallait des comédiens à la hauteur. La troupe réunie par Clément Poirée l’est à n’en pas douter. Ici, la drôlerie des situations et des personnages est exploitée à plein par leurs talents respectifs. Il faudrait tous les citer, tant ils nous régalent… Par manque de place, on insistera donc sur les compositions de Suzanne Aubert, dans la double partition des jumeaux, et de Camille Bernon, pétillante suivante. Ces messieurs ne sont pas en reste : Bruno Blairet est un irrésistible fou ; Laurent Ménoret, un impayable Malvolio. Mais notre coup de coeur est une fois encore pour Eddie Chignara, absolument génial en Sir Toby. Vive cette nuit! Vive ce roi!
Dimitri DENORME- Le Pariscope
Courons vite nous réjouir d’un tel sommeil !
Ils sont tous fous ! Les uns par métier, tel le bouffon patenté, d’autres par imbibation répétée, tels l’oncle et ses joyeux drilles autour de la Comtesse. D’autres encore, Comte, Olivia ou l’Intendant Malvolio, sont fous d’amour, du moins persistent-ils à se repaître de cette fausseté. Le jumeau court après sa jumelle, la soubrette après sa vengeance ou le désir illicite de l’oncle. Même omniprésent, l’amour n’a pas d’objet tangible. Tout n’étant donc que farce plus ou moins macabre ou vengeresse, le parti-pris de cette mise en scène est de conférer au fou princier un rôle central, autour duquel les personnages sont pris dans un réseau de cruautés et d’impatiences mortifères.
La mise en espace donne à voir toute l’ambiguïté des situations, poursuites et violences, gémélléité et trouble sexualité. Les scènes oscillent entre le vide du plateau sur lequel s’élancent, roulent et tanguent les joyeux pochards, et les tentures fluctuantes qui se muent en rideaux de lits, voiles de bateau en perdition, ombres chinoises des unions finales. Impossible de résister à cette folie pleine de clins d’oeil vers une actualité contemporaine et, si on prend quelques libertés avec la lettre pointilleuse du texte, Shakespeare y retrouverait à coup sûr l’esprit de l’invraisemblable fiction qui était son propos. Si c’est bien cela rêver, laissez-moi dormir toujours.
Annick DROGOU - Spectacle sélection
Clément Poirée signe une amusante nuit de folie…
Il y a trois ans, Clément Poirée nous régalait d’une version léchée, limpide et enthousiasmante de “Beaucoup de Bruit pour Rien“, donnant à voir Shakespeare dans toute sa
fantaisie, sa poésie et sa magnificence. Avec une exigence et une force de proposition similaires, voici qu’il s’empare aujourd’hui de “La Nuit des Rois“, s’appuyant sur une solide distribution, homogène et pétulante, le suivant sans retenue dans sa vision “kafkayenne“, burlesque et intemporelle de cette comédie
Clément Poirée a choisi de faire passer la “Nuit“ à ses personnages au sein d’un immense dortoir dОfraichi, unique aire de jeu où solitudes, quêtes d’amour, de désir, d’identité, de bonheur se croisent, s’entremêlent, se confondent. Comme une sorte de rêve éveillé collégial virant au dОlire absolu. Aussi surprenante et légèrement déstabilisante qu’elle puisse être, la chose fonctionne plutôt bien. Rappelons brièvement l’intrigue. D’un côté le prince Orsino, amoureux de la comtesse Olivia, se refusant pour cause de deuil. D’un autre deux jeunes jumeaux, Viola et Sébastien, échoués séparément sur les rivages du royaume après une tempête. Viola se grimera en homme afin de rentrer au service d’Orsino. Celui-ci fera d’elle son porte parole auprès d’Olivia qui succombera à ses charmes, la croyant du sexe opposé, tandis qu’elle même tombera amoureuse de son maître…
Nous l’indiquions en introduction, tous se révèlent admirables et rОjouissants. Exquise Suzanne Aubert (Viola la travestie) dont la délicatesse et la sensibilité nous avaient déjà touchés dans “Much ado…“. Drolatique Claire Sermonne en comtesse redécouvrant dОsir et plaisir. Impayable Mustafa Benaibout (Sir Andrew) qui passe une bonne partie du spectacle à se défenestrer (coup de coeur !). Irrésistible Laurent Menoret (Malvolio) en jarretelles et collants jaunes TRES moulants, se dévergondant devant sa maîtresse, la croyant amoureuse de lui, sombrant peu à peu dans la folie. Formidable Eddie Chignara (Sir Toby) en poivrot roublard. Epatant Bruno Blairet en fou chantant. Parfaits encore, Camille Bernon (Maria), Julien Campani (Antonio) et Matthieu Marie (Orsino).
Thomas BAUDEAU - Fousdetheatre.com
Un spectacle où le spectateur ne boudera pas son plaisir
Formé à la bonne école, collaborateur artistique et assistant de Philippe Adrien, Clément Poirée parvient à syncrétiser le mélange des genres qui s’imbriquent sans incohérence de manière naturelle et assure une direction d’acteur maîtrisée pour assurer la synergie d’un spectacle choral dispensé par une troupe émérite composée notamment de "fidèles" avec une distribution qui s’avère judicieuse en terme d’emploi. Suzanne Aubert a le physique gracile idéal pour incarner la juvénile Viola, Matthieu Marie est parfait dans le rôle du narcissique et maniéré amoureux de l’amour comme Claire Sermonne délicieusement drôle en (auto)frustrée d’amour et Julien Campani assure efficacement plusieurs rôles secondaires.Les scènes cocasses et jubilatoires, assorties d’anachronismes qui réjouissent toujours le public,donnent l’occasion de beaux numéros d’acteur, dus à l’écriture de plateau, péché véniel au regard dela tenue de l’ensemble, avec en tête de peloton, Laurent Ménoret dans le rôle du puritain Malvolio dont le tempérament libidineux se déchaîne sur l’air de la chanson-tube "Ti amo". Un beau quatuor mène la danse : Camille Bernon, au jeu expressif, qui campe la domestique machiavélique, Bruno Blairet, désopilant en bouffon clairvoyant et mélancolique et la formidable paire de pieds nickelés formée par Moustafa Benaïbout, irrésistible en prétendant escroqué et dévoyé par Eddie Chignara, truculent en ivrogne invétéré, qui revisite le duo de clowns à la lumière du comique troupier et de la folie cartoonesque réunis.
Martine PIAZZON - Froggydelight.com
LIEN VERS LE DOSSIER DU SPECTACLE