UN CHIEN DANS LA TETE de Stéphane Jaubertie, mes Olivier Letellier

Le 20/01/2015 à 19:00

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Connivence entre deux artistes pour cette commande d’écriture destinée aux petits et grands sur un thème fondateur : la honte, émotion forte, violente, parfaitement universelle, expérimentée dès l’enfance, qui nous contraint à grandir et à façonner notre identité.

Comment grandir ? « En mettant des mots sur ses émotions », répondent à l’unisson Olivier Letellier, metteur en scène notamment de La Scaphandrière présenté à Chaillot la saison passée, et l’auteur Stéphane Jaubertie. Y compris les plus écrasantes, comme ce violent sentiment de honte qui frappe le héros de ce récit initiatique. Sobrement désigné comme le Fils, il revient, adulte et plusieurs années après le drame, raconter comment un jour, la tête de son père « a commencé à partir ». Dès lors, la rue devient pour l’enfant l’espace de tous les dangers où, accablé par la honte, il se retrouve exposé aux railleries de l’Un et l’Autre, duo de marionnettes infernal, comique et cruel. Tandis qu’à la maison, la mère se cache des regards extérieurs, l’enfant s’évade dans son jardin intérieur où Celle qui reste et le Fils de la Baleine, deux personnages tout droit sortis de son imagination, l’aident à surmonter une réalité oppressante. Le Fils, Celle qui reste et le Fils de la Baleine, incarnés par trois comédiens, porteront le récit de ce cheminement intime, faisant surgir les personnages et situations du passé grâce aux marionnettes, au dispositif scénographique, aux jeux d’ombre… Jusqu’au salvateur retournement final, qui débarrasse le Père de toutes les projections fantasmées et démonte les mécanismes de la honte. / Isabelle Calabre

Lien vers un dossier Pièces (dé)montées consacré au spectacle

Un article du Monde-blogs :

« Un chien dans la tête » ou le triomphe de l’imagination

Il faut prendre au sérieux l’imagination. Cette vérité à la fois psychologique et poétique, Olivier Letellier nous la rappelle joliment avec Un Chien dans la tête, la pièce de Stéphane Jaubertie qu’il met en scène pour le jeune public. Une pièce où, (comme dans la vie, peut-être), l’essentiel se joue « dans la tête ». Pour le pire, tout d’abord, puisque le jeune héros a l’esprit hanté par la honte depuis que son père a perdu la tête et hurle comme un chien. Mais aussi pour le meilleur, puisque le jeune garçon sera finalement sauvé par des êtres qu’il a rencontrés dans son « jardin » secret.

UN CHIEN DANS LA TETE -
Jérôme Fauvel, Camille Blouet et Alexandre Ethève / Crédit photo : Christophe Raynaud de Lage

Ces personnages improbables (une jumelle abandonnée par sa soeur et un « fils de baleine ») viennent bousculer l’existence du héros au moment où il ne demande plus rien à personne. Depuis que son père est fou, sa mère lui a même ordonné d’ « effacer les autres », mais comme on ne peut pas effacer les autres, le garçon est obligé de subir leur cruauté, leurs moqueries, leurs questions indiscrètes. Jusqu’au jour où comme par magie, au fond de sa "tête" d’enfant, des camarades imaginaires font entendre leurs voix, et finissent par imposer leur loi. Les méchants gamins « réels » deviennent alors des marionnettes à la fois drôles et pathétiques. Délectable et juste retournement des choses…

Ce petit miracle qui réjouit le public et sauve la vie du jeune homme relève des jeux de l’esprit (pour ne pas dire de l’inconscient), mais il correspond aussi fort bien à ce qu’est le théâtre : l’art de mettre à distance des êtres et des paroles parfois terribles ; l’art de tout retourner en jeu. Dans le spectacle, d'ailleurs, la puissance du jeu est d’autant plus jubilatoire qu’elle est servie par la performance toute en nuance de Jérôme Fauvel (le fils), et la présence magistralement polyphonique de Camille Blouet et Alexandre Ethève (les deux visiteurs du jardin secret).

Enfin, au-delà des mots et des personnages, ce qui fait la force étrange du théâtre d’Olivier Letellier, c’est son art d’utiliser des images comme des figures de style à la fois parlantes et surprenantes. Ainsi, dans sa mise en scène, tout relève de la métaphore ou de la métonymie : la mère du héros est une chevelure immense, sans corps et sans visage. Sa peur est un nuage de fumée. Son père est un grognement. Son jardin secret, un lieu invisible dont on ne peut discerner que les personnages qui s’y invitent.

Letellier le dit lui-même : dans ses spectacles, il préfère ne pas «  montrer réellement » les choses. C'est ainsi, avec exigence et générosité, qu'il demande aux spectateurs d'écouter leur imaginaire, tout comme le héros de son spectacle. Ce parti pris rappelle la fameuse phrase de Baudelaire : « l’imagination est la reine du vrai », et nous invite, sur les pas du poète, à combattre le règne de la « trivialité positive ».