Créer un site internet

FEYDEAU

Eléments biographiques

Fils de l’écrivain réaliste Ernest Feydeau, Georges Feydeau se tourne très tôt vers le monde des lettres. Encouragé par Eugène Labiche, auteur de vaudevilles célèbres, il écrit deux comédies, Le Diapason et Amour et Piano, ainsi que des monologues dont il fait la lecture dans des cabarets parisiens. A 25 ans, il écrit et fait jouer Tailleur pour dames qui recueille succès auprès du public et reconnaissance du milieu théâtral. C’est en 1892, avec Monsieur Chasse qu’il devient célèbre. Georges Feydeau écrit ses plus grandes réussites de 1892 à 1912 au rythme incroyable d’une pièce par an, On purge bébé, Occupe toi d’Amélie... Ses pièces ont toutes été saluées, souvent imitées et sont encore jouées aujourd’hui. S’il domine le théâtre de Boulevard de la fin du XIXe siècle, son sens du quiproquo et sa capacité à transformer une situation banale en délire scénique, ont fait dire de lui qu’il a annoncé le théâtre burlesque et l’absurde de Ionesco.

feydeau.jpg

Feydeau par lui-même : paroles d'auteur

« Quand je fais une pièce, je cherche parmi mes personnages quels sont ceux qui ne doivent pas se rencontrer. Et ce sont ceux-là que je mets aussitôt que possible en présence... Pour faire un bon vaudeville, vous prenez la situation la plus tragique qui soit, une situation à faire frémir un gardien de la morgue, et vous essayez d’en dégager le côté burlesque. Il n’y a pas un drame humain qui n’offre au moins quelques aspects très gais. C’est pourquoi d’ailleurs les auteurs que vous appelez comiques sont toujours tristes : ils pensent « triste » d’abord ».
Le 10ème anniversaire de la mort de Feydeau, dans Les Nouvelles Littéraires, 30 mai 1931


« Lorsque je suis devant mon papier, et dans le feu du travail, je n’analyse pas mes héros, je les regarde agir, je les entends parler ; ils s’objectivent en quelque manière, ils sont pour moi des êtres concrets ; leur image se fixe dans ma mémoire, et non seulement leur silhouette, mais le souvenir du moment où ils sont arrivés en scène, et de la porte qui leur a donné accès. Je possède une pièce, comme un joueur d’échecs son damier, j’ai présentes à l’esprit les positions successives que les pions (ce sont mes personnages) y ont occupées. En d’autres termes, je me rends compte de leurs évolutions simultanées et successives. Elles se ramènent à un certain nombre de mouvements. Et vous n’ignorez pas que le mouvement est la condition essentielle du théâtre et par suite (je puis le dire sans immodestie après tant de maîtres qui l’ont proclamé) le principal don du dramaturge. (...) Il y a des gens qui supposent qu’une pièce, parce qu’elle est légère d’allures et sans prétention, est aisée à construire. Ils ne soupçonnent pas tout ce qui concourt à sa réussite : et la prudence des préparations, et la surprise des coups de théâtre, et l’incident inattendu dont il faut corser l’exposition pour secouer les nerfs des blasés et les empêcher de crier dans les couloirs le jour de la répétition générale : « Nous avons vu ça cent fois. C’est crevant ! » Enfin, le dénouement, toujours si difficile, si périlleux, qui détermine l’impression finale de la soirée et qui doit être clair sans platitude et agréable sans excès de niaiserie... »
Une leçon de vaudeville, dans Portraits intimes, V, Paris, Collin, 1901, p 10-17


"Comment je suis devenu Vaudevilliste"

Il est plus facile d’être vaudevilliste que d’expliquer pourquoi on l’est. Néanmoins, je vais essayer. Il faut vous dire que j’y suis contraint. Le Matin m’avait prié de lui fournir un article à ce sujet. Il fallait parler de moi. Toute modestie à part, c’est toujours très gênant de parler de soi. On est, dans notre métier surtout, si accoutumé aux traîtrises qu’on en arrive à se méfier de soi-même. Je venais pour m’excuser et me défiler, mais il arriva que, bientôt, je me trouvai enfermé dans un cabinet, confortable il est vrai, et congrûment éclairé, et, à travers la porte close, j’entends une voix me crier “Je ne vous rendrai votre liberté que contre le papier promis..."Je reconnus la voix de celui qui parlait ainsi, un tyran irréductible, et je dus reconnaître en même temps qu’en effet je l’avais promis, ce papier sur ma vocation. C’est presque du vaudeville. C’est parfait. Ainsi je m’exécute, d’autant plus que j’ai hâte d’être libre. Ô liberté !... Enfin... Comment je suis devenu vaudevilliste ? C’est bien simple. Par paresse. Cela vous étonne ? Vous ignorez donc que la paresse est la mère miraculeuse, féconde du travail. Et je dis miraculeuse, parce que le père est totalement inconnu. J’étais tout enfant, six ans, sept ans. Je ne sais plus. Un soir on m’emmena au théâtre. Que jouait-on ? Je l’ai oublié. Mais je revins enthousiasmé. J’étais touché. Le mal venait d’entrer en moi.

Le lendemain, après n'en avoir pas dormi de la nuit, dès l’aube je me mis au travail. Mon père me surprit. Tirant la langue et, d’une main fiévreuse, décrêpant mes cheveux emmêlés par l’insomnie, j'écrivais une pièce, tout simplement.

— Que fais-tu là ? me dit mon père.

— Une pièce de théâtre, répondis-je avec résolution.

Quelques heures plus tard, comme l’institutrice chargée d’inculquer les premiers éléments de toutes les sciences en usage —une bien bonne demoiselle, mais combien ennuyeuse ! —venait me chercher.

— Allons, Monsieur Georges, il est temps.

Mon père intervint :

— Laissez Georges, dit-il doucement, il a travaillé ce matin. Il a fait une pièce. Laissez-le.

Je vis immédiatement le salut, le truc sauveur. Depuis ce jour béni, toutes les fois que j’avais oublié de faire mon devoir, d’apprendre ma leçon, et cela, vous pouvez m’en croire, arrivait quelquefois, je me précipitai sur mon cahier de drames. Et mon institutrice médusée me laissait la paix. On ne connaît pas assez les ressources de la dramaturgie.

C’est ainsi que je commençai à devenir vaudevilliste.

Puis je continuai.

Au collège, à Saint-Louis, j’écrivis des dialogues héroïques et crépitants, mais, comme le pion me les chipait à mesure et que je n’ai pas gardé le moindre souvenir de ces chefs-d’œuvre scolaires, je n'en parlerai pas davantage. Cependant, j’étais dès ce moment, animé d’une violente ardeur pour le théâtre.

C’est plus tard, au régiment, au 47° de ligne, s’il vous plaît, que j’écrivis ma première grande pièce Tailleur pour dames. Saint-Germain et Galipaux y tenaient les rôles principaux. Ce fut un succès.

Je me rappelle qu’à la sortie de Tailleur pour dames, ayant rencontré Jules Prével, celui-ci me dit d’un ton que je n’oublierai pas "On vous a fait un succès, ce soir, mais on vous le fera payer." Jamais homme n’avait parlé avec autant de sagesse et de vérité. Cependant je remarquai que les vaudevilles étaient invariablement brodés sur des trames désuètes, avec des personnages conventionnels, ridicules et faux, des fantoches. Or, je pensai que chacun de nous, dans la vie, passe par des situations vaudevillesques, sans toutefois qu’à ces jeux nous perdions notre personnalité intéressante. En fallait-il davantage ? Je me mis aussitôt à chercher mes personnages dans la réalité, bien vivante, et, leur conservant leur caractère propre, je m’efforçai, après une exposition de comédie, de les jeter dans des situations burlesques.

Le plus difficile était fait, il ne restait qu’à écrire les pièces, ce qui, pour un bon vaudevilliste, vous le savez, n’est plus qu’un jeu d’enfant. Ai-je réussi ? En doutant, je montrerais de l'ingratitude envers le public qui m’a prodigué ses applaudissements, et qui a ri quelquefois de bon cœur, quand ma seule intention était de lui plaire et de le faire rire autant qu’il est possible.

Mais ce sont les lettres, venues de partout, qui vous affirment, à vous-même, la gloire que vous rêvez. Et j’en ai reçu. Combien ! Une, tenez. Un jour, un monsieur qui signait J.B. m’écrit de Bordeaux, m’appelant "cher maître" et vantant, avec mon goût très sûr, mon esprit délicat et mon talent immense. Ce sont ses propres termes. Il m’envoyait en même temps un manuscrit. Une pièce prestigieuse d’esprit, affirmait-il, sur laquelle il demandait mon avis, par politesse, en m'offrant d’être son collaborateur. La pièce dépassait les bornes du permis en fait d’idiotie. Je la renvoyai à son modeste auteur avec mes regrets. Or, moins d’une semaine après, je reçus de mon correspondant bordelais une lettre furieuse. Il me traitait des pieds à la tête, et il terminait par ces mots d’une exquise urbanité : "Et puis je vous em...!" A quoi je répondis avec sérénité : "Plus maintenant, cher Monsieur, j’ai fini de lire votre pièce."

Ce fut tout, mais c’était la gloire.

 Georges FEYDEAU